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Par Yves DUBERTRAND

Le réseau des chemins du Béarn fut amélioré, et la nouvelle voie, ainsi que le nouveau pont furent d'un bon rapport pour Lestelle et pour Bétharram.

Personnages pittoresques

Parmi les quelques personnages pittoresques de cette époque, citons le sonneur, le régent, le marguillier.

Le sonneur s'occupait des cloches, il sonnait à diverses occasions; il était recommandé de sonner en temps d'orage, il sonnait aussi un peu avant que l'assemblée des jurats ne se réunisse et ceci se faisait, il n'y a pas encore tellement longtemps. Outre ces fonctions, il cumulait celles de sacristain et de fossoyeur. Étant sacristain, il accompagnait le curé lorsque celui-ci administrait les derniers sacrements aux malades. En retour de ces offices, il percevait les taxes des sonneries et passait une fois l'an dans les diverses maisons du village où il recevait quelques cadeaux.
Le régent, lui, contre rétribution de 60 livres par an, dirigeait le chant aux messes solennelles, aux enterrements et anniversaires.

Mais de huit heures du matin à quatre heures du soir, il accomplissait son vrai travail qui consistait à éduquer les enfants et même, aussi invraisemblable que cela puisse paraître à notre époque, il enseignait le catéchisme. Ce nom de régent qui existait autrefois dans les villages pour désigner l'instituteur était employé il n'y a pas tellement longtemps encore dans nos villages béarnais et bigourdans.

Il y avait aussi les marguilliers qui exerçaient une fonction ayant de nos jours complètement disparue. Ils étaient élus dans les assemblées générales de la commune et tenaient la comptabilité de l'église sous la direction du curé et des jurats. Les marguilliers avaient un costume spécial, ils étaient revêtus du chaperon orné de rubans rouges qui étaient l'emblème de leurs fonctions et de leur autorité; par leur présence, ils assuraient l'ordre dans les cérémonies; mais à l'extérieur, ils veillaient à la tenue des paroissiens. La vie a l'époque, on le voit, était moins libre que maintenant; en 1763, une ordonnance obligeait les hôteliers à signaler les étrangers qui passaient chez eux plus d'une nuit; les jurats, eux s'assuraient de leur probité et leurs bonnes mœurs.

Partage des terres

Un accord fut conclu entre les chapelains et les jurats de Lestelle, concernant l'acquisition des terres ou plutôt le partage de celles-ci. Le bâtiment aujourd'hui nommé Aris et qui à cette époque servait aux chapelains comme écurie pour leurs bêtes, était soudé à la grande prairie voisine que l'on nommait alors Béthérède. Le chemin du hameau nommé Gassie-Peyre le séparait du monastère, il était étroit, à peine praticable aux cavaliers. Il longeait le pied de la colline, contournait le bas du calvaire et se dirigeait ensuite vers le sommet, ou, si vous préférez à l'heure actuelle vers la Croix des Hauteurs. Autrement dit, l'ancien chemin, passait entre la maison Aris et le monastère, là où à l'heure actuelle se trouve l'entrée qui amène au bâtiment de l'apostolicat et à une cour intérieure; cet ancien chemin dont on peut voir le tracé derrière ce bâtiment de l'apostolicat, fait partie du domaine de Bétharram.

Les chapelains étant désireux de relier cette dépendance au monastère, demandèrent aux jurats de Lestelle de leur céder ce passage et ceci dans toute la longueur de leur propriété. Bien entendu, en retour, ils apportaient une compensation; ils offraient de refaire à leurs frais un chemin se trouvant un peu plus bas.
Les jurats 'acceptèrent cette proposition. Les chapelains construisirent une nouveau chemin un peu plus loin, sur une longueur de 160 coudées et lui donnèrent 12 coudées de large (ce qui équivalait à peu près à 80 mètres pour la longueur et 6 mètres pour la largeur) ; ceci permettait à deux voitures de se croiser, ils prirent aussi l'entretien à leur charge.

Les Lestellois préféraient, utiliser un petit chemin montant du ruisseau Saint Roch, allant vers le sommet du calvaire (actuellement chemin du calvaire) ; ils ne continuèrent le chemin du Gassie Peyre qu'en 1782, ce qui lui donna le tracé du chemin actuel. Pour cela ils obtinrent de l'Intendant de le construire par corvées « à bœufs et à charrettes» et ceci à l'usage du hameau qui n'en avait aucun de praticable ».

Enfin à frais commun, les jurats et les chapelains élevèrent un mur servant de parapet tout au long du Gave en face de la chapelle et du monastère.

Des prêts

Les chapelains par ailleurs pratiquaient des prêts aux villageois dès le XVIIème siècle. Les premiers qui bénéficièrent de ces prêts furent les jurats de Lestelle; le 4 Novembre 1670 les Lestellois empruntèrent 200 livres pour loger la garde de Monseigneur le Gouverneur. Le 1er Juin 1691 les jurats sollicitèrent un prêt de 300 livres.

En 1664 après une réunion publique tenue «daban la gleyse au toc de la campane », les chapelains versèrent 283 livres dans le but de désintéresser un conseiller du parlement ayant obtenu la prise de corps contre les jurats. Ainsi, ceux-ci grâce au chapelain, évitèrent de séjourner à la conciergerie de Pau. Ces derniers bénéficièrent eux-aussi d'un apport de ressources provenant du moulin de Lestelle ; un rapport établi à l'époque nous permet de dire que le 10 Avril 1780, celui-ci leur rapportait 500 livres en argent, livrait 50 quintaux de froment et 50 de maïs, 50 de millet, plus 5 paires de chapons gras et 2 paires de poulets; le meunier s'engageait à nourrir 2 cochons par an, à moudre le grain des chapelains, et à cueillir la moitié des glands de la chênaie limitant le canal; il veillait en plus sur le vivier et recevait le grain des Lestellois.
Mais, si les rapports économiques et financiers étaient bons entre les deux communautés, fort heureusement il en était de même au point de vue humain.

Les habitants de Lestelle se rendaient chaque année à Bétharram et ceci deux fois l'an, la première fois le matin de l'Ascension, l'autre fois le 15 Août pour la fête de la Vierge. Déjà, en 1750, il en était ainsi, une délibération datant de cette époque, nous le dit: « la communauté  emploie chaque année la somme de 10 livres le jour et fête de l'Ascension pour la rétribution de la messe qu'elle fait dire dans la chapelle et pour les cierges que les jurats y offrent, la communauté y allant en procession générale». Le 15 Août, ils chantaient la messe et les vêpres en la chapelle de Bétharram. Tradition pratiquée il n'y a pas encore si longtemps.

D'autres inondations

Si tout allait bien du point de vue humain, la nature semblait, par contre, décidée à faire souffrir ces mêmes humains par ses caprices.

Depuis 1687 le pont de pierres résistait vaillamment aux attaques du Gave. Mais en cette moitié du XVIIlème siècle, le monastère et la chapelle eurent à souffrir à plusieurs reprises des assauts du Gave. En 1762, le pont de bois de Saint-Pé fut détruit; les digues du moulin de Lestelle furent endommagées, l'eau pénétra dans les caves du monastère. La plus grande inondation du siècle survint en 1772. Il plut à cette époque pendant 58 heures consécutives; à Bétharram, l'eau s'élevait à une hauteur de 2 mètres au rez-de-chaussée, la chapelle fut envahie et la route minée jusqu'aux fondations même du monastère, la grande digue barrant le Gave fut emportée, elle fut reconstruite sur des plans plus importants. Elle avait été construite dix ans auparavant et barrait le Gave dans toute sa largeur. Les travaux s'étaient déroulés de l'hiver 1762 au printemps 1763 sous la direction de Lapuyade, fils de Montaut, qui en dressa les plans.

Il est maintenant nécessaire de parler du Calvaire de Bétharram qui constitue l'un des plus beaux joyaux de la région.

Si vous le voulez bien, nous allons à nouveau traverser les siècles; nous sommes en 1621, un prêtre nommé Hubert CHARPENTIER est appelé par l'Évêque de Lescar pour administrer la chapelle; ce lieu de pèlerinage venait à peine de se relever de ses ruines, car comme nous l'avons vu il avait été détruit en 1569 par les Protestants. Il acheva donc la construction et surtout la restauration et l'agrandissement du sanctuaire. Mais il décida aussi d'édifier sur les flancs de la colline dominant la chapelle les bases d'un calvaire monumental.

Il bâtit alors quatre stations, mais il fut appelé à Paris. Les membres de la société des chapelains fondée par lui reprirent son travail au début du XVIIIème siècle, le nombre de petites chapelles fut alors porté à huit.

Ce calvaire se composait alors de statues en bois; l'une d'elles est parvenue jusqu'à nous, c'est celle du Christ à la colonne (que l'on peut voir dans la Chapelle du pèlerinage, en entrant, immédiatement à droite). Ce calvaire d'une grande beauté fut détruit par les révolutionnaires le 17 mars 1794.

Le pays tout entier en cette seconde moitié du XVIIlème siècle allait être en effervescence. La révolution grondant à Paris n’épargna pas notre région béarnaise et la communauté Lestelloise et Bétharramite.

La révolution

Les réformes votées à Paris (renonciation des privilèges, confiscation des biens de l'Église, constitution civile du clergé) eurent des répercussions sur le plan local.

Le supérieur des chapelains, Touton, fit devant les officiers municipaux de LESTELLE, la déclaration exigée par le décret du 18 Novembre 1789, de tous les biens tant mobiliers qu'immobiliers de la congrégation.

La loi du 27 Novembre 1789 mit tous ces biens sous la sauvegarde des autorités civiles. Donc le Conseil municipal de LESTELLE se chargea de surveiller les biens des chapelains, l'inventaire en fut fait le 25 Octobre 1790. Il fut déposé à la Mairie un état du mobilier du monastère et de la chapelle ainsi que du matériel contenu dans l'écurie et la grange du bord du Gave. Le Conseil municipal termina sa visite par le relevé des documents administratifs du sanctuaire, ainsi que des titres de propriété des biens situés à LESTELLE et autres  endroits.

Les adjudications et les ventes des biens se succédèrent le long de l'année 1791 et suivantes. Les municipalités de LESTELLE et MONTAUT avaient été invitées à les acquérir; celle de LESTELLE ne voulut pas les acheter et résista aux sollicitations du procureur communal.

De 1790 à 1792, on dépouilla BETHARRAM de ses biens. Il est évident hélas, que cela donna lieu à des actes de pillage ici d'ailleurs comme dans toute la France. Les belles futaies du calvaire furent saccagées; le 27 Août 1790, deux hêtres furent abattus, mais Clément CHIGUÉ, capitaine de la garde nationale de LESTELLE, saisit à temps les chars transportant les arbres. Le 12 Janvier 1791, on arrêta une dizaine de voleurs; le 16 janvier 1791, la grange fut détruite; le 29 Mars, 40 châtaigniers et 4 hêtres furent déracinés.

Le 25 Mars 1793, des voleurs entrèrent par le toit de la Pastoure (l'autel de la Pastoure se situe en entrant au fond du bas côté droit du sanctuaire), et malgré les scellés qui protégeaient la porte d'entée, ils pénétrèrent dans la chapelle, s'emparèrent de la lampe du sanctuaire et d'une partie des tuyaux de l'orgue. On trouve d'ailleurs dans les archives de la commune un compte-rendu de séance concernant ce vol.

Afin de mettre un terme à ces pillages, le soir même, Bernard CHIGUÉ, commandant la garde en second, établit dans le monastère un poste de nuit de quatre hommes armés de piques, ceci de 7 heures du soir à 4 heures du matin; afin que le service fut plus sérieux, il était interdit à ces hommes de faire du feu.

On le voit d'après ce compte-rendu, les réactions des conseillers municipaux n'étaient pas hostiles à la religion et de ce fait à Bétharram au contraire. La municipalité regrettait fortement ces pillages; les sentiments de la population étaient identiques. La municipalité ne se prêtait que mollement aux mesures administratives imposées par la convention.

Aussi sous le reproche qu'elle manquait de zèle, elle fut remplacée au début de 1793. Un nouveau conseil fut constitué avec à sa tête le praticien Jacques LESCUN. L'ancienne municipalité n'étant pas trop favorable à la convention, on la remplaça par une autre que l'on saurait être fidèle à la cause. LESCUN accomplit tous les devoirs de sa charge de 1793 à 1800, il fut aussi destitué après par le Préfet.

Le 29 janvier, s'étant aperçu que l'arbre de la liberté était tombé, LESCUN le fit remplacer; ce travail dura de 5 à 7 heures en présence de plus de cent personnes. Au mois d'août, il associa l'arbre de la fraternité, mais hélas, comble de malchance, les deux se desséchèrent, il en fit replanter deux autres au mois de mars 1794.

C'est à leurs pieds qu'eurent lieu les fêtes décadaires obligatoires depuis le 30 novembre 1793 « pour tous les citoyens et citoyennes du lieu ».

D'autres mesures plus déplaisantes furent décidées sur l'ordre de MONESTIER, qui était le représentant du peuple, le 20 mars 1794, il fit fermer l'église du village, la transforma d'abord en lieu de réunion publique, puis en temple de la raison. Elle servit ensuite d'atelier pour la fabrication du salpêtre.

Cependant, les habitants de LESTELLE se montrèrent réticents aux théories de l'époque.

En 1792, devant l'affluence des catholiques venus faire leurs pâques à BETHARRAM et parmi eux presque tous les Lestellois, un ordre fut donné de PAU de fermer la chapelle et d'en murer les portes.
L'officier municipal, Jean CANTONET obtint cependant un délai. On le voit, la municipalité n'était pas entièrement dévouée aux ordres des mouvements révolutionnaires. Le village était divisé cependant, mais il n'y eut aucun heurt entre les habitants.

Le temps passa jusqu'au 15 août, c'est alors que pour la seconde fois, il fut ordonné aux officiers municipaux de LESTELLE de fermer et murer les portes de la chapelle. Cette fois-ci la municipalité refusa d'exécuter les ordres.

Ce fut un envoyé de PAU, à la tête de 24 gendarmes qui occupèrent BETHARRAM et empêchèrent les gens d'y entrer. Des prêtres se réfugièrent alors chez des amis à LESTELLE, dans diverses maisons, dont les descendants portent encore le nom. Certains se réfugièrent chez Jean GAYE, au quartier de Chèze, ainsi que chez ARGACHA et chez CHIGUE, ceci donna lieu à des violences et à de nombreuses perquisitions chez ces gens-là. Le village ne resta pas impassible, comme en 1569, où il n'avait pas hésité à défier les troupes de Jeanne d'Albret et les protestants qui étaient alors maîtres du pays, en restant catholiques.

LESTELLE n'hésita pas pendant la révolution à montrer au grand jour ses opinions et à aider les gens souffrant des heurts de cette époque.

Une conduite anti-révolutionnaire

La municipalité fut jugée très sévèrement à PAU, on reprocha au maire d'avoir exercé ses fonctions avec tiédeur, d'avoir toléré les prêtres déportés et le 18 décembre 1797, ce dernier était destitué de ses fonctions.

D'autre part, le maire LESCUN avait des ennuis avec son adjoint MONSARRAT au sujet d'une somme de 168 F que le premier réclamait au second, déclarant que cette somme lui était due (la municipalité avait été chargée de gérer les biens et de tenir la comptabilité des revenus des chapelains). LESCUN aggrava le conflit en refusant de rendre les clefs de BETHARRAM à son adjoint devenu alors maire. Il fallut l'intervention du Préfet pour mettre fin à la querelle.

Une lettre adressée par le maire et les conseillers municipaux à l'époque nous montre une fois de plus que loin d'être indifférente, la municipalité regrettait bien au contraire les faits qui se déroulaient. Les Lestellois n'hésitèrent pas, afin que l'église de BETHARRAM ne soit pas fermée, à s'adresser au ministre des finances de l'époque, David RAMEL, pour lui demander d'intervenir, et d'empêcher la fermeture de l'église et la confiscation des biens, ceci en vain. Les Lestellois, par la voix de leurs élus, adressèrent une supplique, au général SERVIEZ alors Préfet du département. En voici le contenu :

« Les habitants de LESTELLE, indissolublement attachés à la religion de leurs pères, ne considèrent jamais ce monument respectable sans éprouver une vive douleur. Le jour où il sera rendu entièrement aux pratiques de piété, le jour où ils pourront s'y rendre en foule pour s'édifier et y conduire leurs enfants pour y apprendre les principes de la morale chrétienne, aura pour eux les mêmes charmes que peut avoir le pays natal pour un infortuné qui le revoit après un long exil. »

La supplique était signée de la majorité des notables de LESTELLE, notamment : LESCUN, avec CANTONET, CAPBLANC, PEYRAS, TACHOUE, MONREPOS, SAUBATTE, GAYE, ARGACHA, ARTIGAU, BEDOURET, BASSE, ARRIUCOUR, ANNETTE, ROULLAN.

La tâche des magistrats de l'époque fut, nous le voyons ici, fort pénible, et si vous permettez, nous pourrions dire qu'ils furent pris entre deux feux : d'une part, le devoir que leur imposait leur charge et d'autre part, la douleur de voir détruire un monument pour lequel ils avaient tous plus ou moins des liens d'attachement personnels.

Cependant, le règne de la terreur fut terminé à la mort de ROBESPIERRE, survenue le 28 juillet 1794. Les représentants du peuple furent rappelés, d'autres comme MONESTIER furent arrêtés. Un régime plus libéral s'instaura, la France allait essayer de panser ses plaies ; un siècle nouveau allait le lui permettre.

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