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Par Raymond DESCOMPS

Sujet d'Histoire

Le moulin de Lestelle, quel intéressant et abondant sujet d'Histoire! Plutôt en trois volumes qu'en un seul. Au moment où disparaissent ses derniers vestiges, nous voudrions simplement rappeler qu'il y a des tranches de vie qui doivent rester dans la mémoire locale, ces archives du cœur.

Dans une bastide essentiellement agricole comme la stela de 1335, le moulin était un moyen de base dans la vie ordinaire. Et le torrent voisin, encore rapide au sortir de la gorge de Saint-Pé-de-Générès, offrait la possibilité d'une chute importante sans la création d'un trop long canal de déviation. La population se mit au travail, et en 1553, la stela avait son moulin, avec la quasi certitude de ne jamais manquer d'eau.

L'administration Royale avait agréé l'entreprise mais "à la charge du fief annuel de 25 écus petits, ou de 25 conques de froment, au choix".
Que se passe-t-il pour que, une vingtaine d'années après, le village cherche à s'en défaire? Difficultés d'exploitation? Mésentente des administrateurs? Manque d'argent pour l'entretien? Gabegie? Le fait est que le 28 janvier 1574 les Lestellois vendirent leur moulin à un riche propriétaire, Jean d'Abadie, seigneur d’Igon, pour 950 écus et un tonneau de vin.

L'expérience du seigneur-meunier ne fit pas long feu, le temps sans doute de vérifier que l'affaire n'était pas rentable. Le 12 septembre 1635, par devant Jean DUCLOS, notaire de Lestelle et de Montaut, notre Jean d'Abadie, vendit purement et simplement au sieur Pierre-Paul de PRUGUE, Prieur de l'Isle, le moulin de Lestelle, avec le canal, l'écluse, la nasse, le taillis, le bernata, garni de vergnes pour l'entretien de la nasse; laquelle vente fut faite pour la somme de 2000 livres.

Pensez-vous que le sieur de PRUGUE allait se reconvertir dans le commerce des farines? Non, mais plus malin. A cette époque et depuis une quinzaine d'années, dans le vallon voisin du Gatarram, sur ces mêmes lieux où le passage des huguenots n'avait laissé que cendres, s'épanouissait une communauté de chapelains-moines-missionnaires. Dès lors, l'affaire du moulin était cousue de fil blanc: par devant le même DUCLOS, notaire, le sieur de PRUGUE, le 13 septembre 1636, passe un contrat par lequel il fait vente du dit moulin et de ses dépendances, en faveur des sieurs Chapelains pour la somme de 2110 livres.
Le registre du Conseil Souverain de PAU a conservé des lettres "portant que les Chapelains de Bétharram paieront 18 livres de fief, au lieu de 24 quarteaux de seigle et de millet pour le fief du moulin par eux acquis d'Abadie de Montaut".

Et voilà comment après le projet de construction d'une grande église et de bâtiments d'accueil annexes, après l'achat et l'affermage de propriétés, après l'acceptation onéreuse de nombreuses donations, après le rôle toléré d'être pratiquement les banquiers des municipalités voisines, le moulin de Lestelle sera, à partir de 1636, un des rouages de l'animation sociale de toute la contrée.
On devine que les Grands Chapelains de Bétharram ne venaient pas inutilement enfariner leurs robes dans le moulin de Lestelle. Ils y installèrent un meunier compétent qu'ils se contentaient de surveiller. Ainsi le 28 août 1789, le meunier fraudeur fût puni d'une amende de 24 livres.

Un fait est certain

Les qualités administratives des Chapelains: "les moulins constituaient pour les Chapelains un bon placement. Le 10 avril 1780, celui de Lestelle rapportait 500 livres en argent et livrait 50 quintaux de froment et 50 de maïs, 50 de millet, plus 5 paires de chapons gras et 2 paires de poulets
Le meunier s'engageait à nourrir deux cochons par an, à moudre le grain des Chapelains et à cueillir la moitié des glands de la chênée de Coutilhon qui limitait le canal". (HL. page 215).

Un fait reconnu

3 décembre 1818, la municipalité de Lestelle s'oppose aux projets du sieur Bourgeacq, papetier, demeurant à Montaut, propriétaire de l'unique moulin existant dans le village... et fait remarquer que:

  1. la banalité est abolie,
  2. qu'à cette époque (avant la révolution) la fraude était punie par les jurats,
  3. qu'en ce temps aussi le moulin actuellement possédé par Bourgeacq appartenait aux Chapelains de Bétharram, qui surveillaient eux-mêmes le meunier, ce qui rendait les plaintes fort rares,
  4. que ces plaintes se Sont multipliées à l'infini depuis que le sieur Bourgeacq est propriétaire du moulin.

Ces résultats n'étaient pas obtenus sans peine. Les difficultés devant lesquelles les propriétaires depuis 1553 avaient abdiqué, il incombait aux Chapelains de les résoudre à leurs frais à partir de 1636.

La protection contre les inondations

Depuis la construction en 1553 le moulin de Lestelle en a vu de terribles, dont l'Histoire nous a gardé quelques souvenirs.

1662
Le pont de bois est bousculé et traîné sur les digues du moulin

1678
Le pont est arraché, avec l'église, le cimetière (Soum det Castet)

1753
La grande barque des Chapelains, servant aux réparations rompit ses amarres et partit à la dérive à travers les saligues

1762
Les digues furent fortement endommagées, les caves inondées.

1772
Le 16 septembre: la plus grande inondation du siècle; il plut pendant 58 heures consécutives. La grande digue barrant tout le gave et construite durant l'hiver-printemps 1662/1663, fut emportée; à Bétharram, 2 mètres d'eau au rez de chaussée, chapelle inondée, murs sapés, ...

1787
Le 25 septembre, une partie de la grande digue reconstruite fut de nouveau endommagée. Les Chapelains demandèrent alors à Jean de Laclède, maître des Eaux et Forêts, l'autorisation de couper dans les bois de Montaut et de Lestelle, 30 chênes et 3 hêtres. Accordé, à charge "de replanter dans les places vides 100 jeunes chênes bien venants, de les faire buter et armer d'épines jusqu'au premier janvier".

1875
Forte inondation.

1937
Le 26 octobre: on peut encore se renseigner auprès des témoins vivants.

Les corvées du moulin

Si les services rendus par le moulin étaient jugés irremplaçables, les réparations et entretien indispensables, par contre, le système des corvées (manobres), généralement admis dans la société d'alors, apparut souvent pénible, parfois insupportable, souvent contesté.

20 mai 1645 :
"Pour le regard des manubres que les habitants de la Communauté de Lestelle doivent fournir pour travailler aux réparations nécessaires du moulin du présent lieu, les dites manubres seront prises et employées en quatre divers fois généralement tant du village que du bourdalat par chacune année, et ne pourront lesdits messieurs de la Chapelle de Bétharram employer les manubres que quatre fois comme dit...".

17 décembre 1653 :
Sommation des Chapelains aux jurats d'exécuter les manoeuvres: Lestelle tenu par le contrat de vente du moulin et par arrêt de la Cour du Parlement de Navarre de contribuer aux manœuvres chaque ann6e pour réparations attenantes au moulin... veulent continuer la digue: somment Lestelle d'envoyer demain des manœuvres"...

Face à une administration de jurats incapables de faire "marcher leur moulin, de façon satisfaisante pour tous, dans un climat de contestation et de procès, à travers le service quotidien ininterrompu (les grèves étaient inconnues), les grands Chapelains administrèrent brillamment leurs moulins durant un siècle et demi jusqu'à la Révolution.

La mola deu molin n'ei com la parpalhola
Que la mort vien segar au cap deu dia brac
La mola deu molin ei de bona gansola
E dus sègles quecau tau copar lo tric-trac.

27/6/1970 - Abbé Jean-Marie GRANGE

Ici s'arrête notre propos, la suite c'est de l'Histoire contemporaine. Les témoins des derniers meuniers de Lestelle sont parmi nous. Jusqu'à ce mois de novembre nous pouvions encore voir quelques vestiges du vieux moulin de Lestelle : un bout de l'ancien canal (baniu), des restes de digue (pierres, pieux du bernata, maçonnerie, travail dû aux manubres des Lestellois).

C'est fini. Les ingénieurs sont passés. Digues et écoulement des eaux du Gave doivent se plier aux besoins de la vie moderne. Plus de digue en V dont la pointe tournée vers la montagne fendait le torrent en deux parties: l'une pour le moulin de Lestelle, l'autre pour le moulin de Montaut. M. Gaston LACAZE, industriel de Montaut, vient de prolonger la digue de Dilenséger jusqu'à la rive de Bétharram. Mais l'eau ne reprend pas tout de suite en aval son cours sauvage: elle cascade dans trois bassins successifs, étagés à 40 centimètres l'un au-dessus de l'autre. On peut, si on veut, appeler cette disposition échelle de poissons. De fait on imagine sans peine que nos truites, après quatre modestes bonds de 40 centimètres, se trouveront 1 m 20 plus haut fort à l'aise dans l'immense plan d'eau de Bétharram.

La réalisation de l'ouvrage, conduite rapidement, sous l'oeil vigilant de M. LACAZE, offre un aspect flatteur pour le touriste qui descend de voiture sur le parking-terrasse de Bétharram. Un attrait de plus pour la ville de Lestelle, en ce point où l'on prend justement la direction du nouveau Camp de Tourisme.

Quant aux promesses de solidité de l'ouvrage, sa robustesse apparente
- on n'a pas lésiné sur la masse du matériel
- attendons pour voir qu'il pleuve 58 heures consécutives!

En regardant notre gave descendre prudemment ses quatre nouveaux plans, notre mémoire remonte au vieux moulin de Lestelle. Du souvenir à la réalité d'aujourd'hui, il n'y a qu'un pas. Le long du chemin du moulin on croit encore entendre le roulement des meules qui écrasent le grain. A suivi le tonnerre des grosses machines qui ont balayé les ruines du dernier moulin de Lestelle. Aujourd'hui, terres, ronces et saules - comblent l'ancien canal du moulin; les lieux sont occupés par une pelouse d'ornement et... une ville!

Si les pelouses fraîchement créées jouent parfois le rôle de cimetières d'oubli, la mémoire des hommes est un berceau de souvenirs vivants. La figure de Léon, CAZENAVE-LASBATS n'a pas été effacée par le passage des bulldozers. Le vieux meunier, mort à 94 ans, a laissé derrière lui un parfum de farine fine, comme celle que Jean-Pierre de Bétharram allait lui demander pour fabriquer des hosties.

Le meunier d'autrefois était plus un artisan qu'un industriel, plus un serviteur qu'un commerçant. Et à l'heure de midi, en attendant que sa meule ait écrasé et finement moulu tout le quartal de froment, il arrivait que Léon offrit aux clients un petit casse-croûte.

Bien sûr, Léon n'oubliant pas la pugnère (ainsi appelait-on le prélèvement de grain en guise de paiement), mais les doigts de sa main étaient souples et plus le client était pauvre, plus les doigts de faisaient courts...

Nous avons peut-être sans le vouloir, rejoint les anciens Chapelains, meuniers d'autrefois.

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